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rayons d’or se reflètent tremblants sur la terre et l’onde, et de son trône splendide il enflamme l’occident. Déjà son regard plein de merveilles n’éblouit plus, mais répand des rayons adoucis, et que l’œil supporte; dans un court adieu, avant de s’ensevelir dans les profondeurs de l’espace, il permet aux yeux des mortels de le contempler, et au moment suprême, il disparaît avec lenteur, afin d’enivrer encore toute la création de son vivifiant sourire. Encore à travers la fenêtre il regarde dans la demeure de l’homme... regard mélancolique de l’amitié qu’un voyage nous enlève... Enfin, jetant sur les nuages sa robe de pourpre, il plonge son sein pur dans les mystères de la nature. Voici là nuit, qui de son doigt jaloux efface les traces du jour, et traîne après elle son noir manteau, abri du crime et de la trahison. Où donc le Porte-glaive s’est-il attardé? Voici bien l’heure où il devait, disait-il, après la bataille, s’attaquer aux flacons, et sans renfermer dans son cœur sa vive joie, rassembler sa maison, réjouir sa fille et régaler son gendre. Aussi bien un beau cortège d’hôtes lui est arrivé. Quelle est donc la cause de ce retard inopportun? IV

Depuis l’instant où s’était ouverte l’arène de la victoire, depuis l’instant où il y était descendu sur son cheval fougueux, depuis l’instant où les trompettes, avec la voix de ses actions passées, avaient fouetté le sang de ses veines comme les vibrations du tonnerre; où il avait vu la bouillante jeunesse, où il avait entendu le cliquetis des armes, le bruissement des banderoles, et le ronflement des chevaux; où, s’élançant, accompagné de son gendre, sur le chemin que leur montrait la gloire, il avait senti ce que sent le vieil aigle quand l’aiglon vole à son côté; depuis l’instant où son esprit avait retourné vers le passé le cours de ses réflexions, où il avait vu se dresser, en cortège sanglant, les crimes des Tatars, l’audace était sur son front ridé, le feu dans sa prunelle; le bonnet sur l’oreille, la destruction dans la main, il marchait, et le souffle de son âme avide de combats secouait les poils hérissés de sa moustache blanche. A peine sa troupe fût-elle sortie du village, que son sabre siffla hors du fourreau, et, avec un regard qui eût cloué contre terre les poltrons, il contempla, le cœur dilaté, ses escadrons ardents, et commanda l’attention de sa voix retentissante:

«Nobles seigneurs, bourgeois et cavaliers! Je sais que vous êtes prêts à tomber sur l’ennemi comme la foudre. D’ailleurs, que celui qui a peur de la danse tatare27, que celui qui épargnerait la vie du sauvage mécréant s’en retourne au galop chez lui sur sa haridelle, parce que je lui fendrais la tête avec mon sabre! Soyez prompts! de l’ensemble et de l’audace! Laissons-les épuiser leurs flèches! Foi en Dieu, confiance dans le sabre, et les grosses têtes tomberont, comme les épis qui scintillent un jour au soleil, et le lendemain gisent flétris, quand la faux les a tranchés. Nul ne pourra jamais manger tranquillement sa kacha28, s’il ne sait exterminer la sauterelle pendant la guerre. Du silence, de l’attention et de la prudence, jusqu’au moment où sonnera la trompette; alors tombez sur eux à corps perdu, et faites bien voir que les Polonais sabrent, et que chacun de vous me pèche un poisson! nobles seigneurs, bourgeois et cavaliers!»

Et il s’en va, chevauchant côte à côte avec son gendre, se concertant tout bas avec lui au sujet de son plan de guerre; il parle des rapports d’espions; il explique comment et où leurs forces respectives doivent réunir leur impétuosité pour la charge; comment on profite de la victoire, et si l’on est repoussé, comment on arrive à écraser l’ennemi après une fuite simulée. Venceslas écoute absorbé, tandis que de la main, de la tête, de chacun de ses traits, le Porte-glaive accentue son langage. On dirait, en voyant ce tableau, que l’art d’un peintre, tirant un merveilleux effet d’un contraste habilement ménagé, a peint la vivacité dans le vieillard, et la réflexion dans le jeune homme.

V

Cependant, après avoir dépassé le village, ils quittèrent le chemin battu, et s’enfoncèrent de plus en plus profondément dans les plaines incultes, où le vent sème la graine, où le temps fait tomber les fruits; où l’homme avide n’amasse point de récolte, où le travailleur ne se courbe pas sur le sillon. Partout la solitude, le silence... terre bénie, dont le charme virginal s’épanouit, fleur ignorée, cueillie par le ciel, sans que la main de l’homme la profane. Océan de fertilité, qui sur tout l’immense horizon se déploie coloré de mille teintes. Là le vieux chef, comme un nautonier, guidé par le cours du soleil, vogue avec ses escadrons sur une route sans fin. Les hautes herbes se brisent, les broussailles froissées bruissent, et les fleurs du steppe inclinent sous le sabot des chevaux leur tête embaumée. Mais la senteur de ces champs ne passe point à travers sa moustache blanche, et dans son sein, où gronde l’orage, ne pénètre pas la suave et délicieuse haleine: la guerre, la guerre absorbe tous ses sentiments. Honneur à la poussière des champs paternels, vengeance pour l’insulte qui leur est faite! Il ne se laisse pas emporter par une ardeur qui le tromperait, au milieu des sentiers sinueux tracés pour l’égarer par le Tatar, qui sur les herbages épais, imprime dans tous les sens des chemins où l’on se perd, faux indices de sa direction29. Mais traversant en ligne droite ces traces factices, il sourit comme le chasseur qui est sûr de trouver son gibier. Peu après, il rassemble les escadrons, et par une ruse calculée, les partage en deux corps que le même dessein guidera. A ceux qui restent, il dit adieu, en agitent son bonnet, et suivi des siens, se jette, de côté, dans une plaine sans bornes, où ils s’enfoncent dans les touffes de chardons fleuris. Déjà l’on ne voit plus les chevaux,mais seulement les guerriers, au-dessus de la plaine rouge; déjà leurs bustes nagent sur la surface à teinte sanglante; déjà les colpaks, les banderoles... tout a disparu comme dans les flots.

VI

Et Venceslas, investi d’une autorité suprême, au milieu des steppes immenses, se dirige par sa seule volonté. Mais d’où vient cette pâleur? Venceslas le farouche, le vaillant, au sein d’une sauvage nature, mène les escadrons à la gloire... D’où vient donc cet air sombre? Le vent lui chante sa chanson bruyante, et Venceslas s’est plu quelquefois à baigner dans ce souffle son front... Pourquoi le baisse-t-il à présent? Triste et rêveur, quoique plein de courage, il n’a pas encore jeté un regard sur sa troupe fidèle. Et pourquoi?... Il ne le sait... Parce que la gloire apparaît à ses yeux baignée des larmes de Maria; parce que son cœur a senti un tressaillement subit, comme celui de l’homme qui réveillé en sursaut, voit un crêpe funèbre passer devant ses yeux, et reste saisi d’effroi, d’inquiétude et de stupeur. Fiévreusement sa tête s’agite et secoue sa chevelure d’or, comme s’il voulait en faire tomber une froide rosée. Fiévreusement il se prête au caprice du coursier bondissent, comme s’il voulait s’enfuir bien loin de son infortune. Dans son œil ténébreux s’allume à présent cet éclat qui sort de l’âme, lorsque dominant les plus vives douleurs, elle illumine du même rayon toutes les tristesses, et met l’auréole de l’immortalité autour d’un visage mortel. Quels que soient les pensées, les souvenirs, les alarmes, la douleur, la faiblesse, les fantômes qui l’ont détourné de sa route, quelque rigoureux que puisse être le destin en trompant ses efforts, son seul amour, à présent, c’est le devoir du guerrier. L’esprit du mal, qui envie aux hommes l’espérance, a-t-il un instant soulevé pour lui le voile de l’avenir? ou, dans les cordes de sa lyre, tendues par une suite d’émotions puissantes, et touchées par la main du malheur, un pressentiment a-t-il résonné30? Peut-être tombera-t-il dans la bataille! Mais, quelle que soit sa destinée, son cœur et son sabre ne seront pas domptés aisément. Que le souffle de la mort répande les ténèbres sur ses yeux! Il n’y aura de rouille ni dans son cœur ni sur ses armes. Comme un torrent, dont les flots impétueux sont arrêtés, creuse son lit et ronge ses bords escarpés; comme un cheval, dont les entraves tombent, prend sa course effrénée, déchire la terre, fait jaillir le feu, et devance l’aquilon, ainsi Venceslas, dans son irrévocable et sombre résolution, déchire ce tableau de l’avenir qui l’importune, et plus ardent, plus impétueux, se précipite au devant du fer ennemi, en jetant sur son sabre un regard plein d’assurance et de menace. Et pourtant, une voix terrible, malgré la fierté de son œil, retentit dans tout son être: «un cercueil sera ta conquête!»

D’ennuis, de soucis cuisants, de douleurs, il n’est pas peu dans cette vie, et plus de larmes coulent dans l’ombre qu’au grand jour. Celui qui, au milieu des gémissements, pousse un bruyant éclat de rire, comme un fou dans un hôpital, celui-là se dit heureux. Mais quand l’âme, obéissant à une noble séduction, établit ses desseins sur les ruines de ce quelle avait de plus cher, s’aveugle dans une trompeuse confiance, et voit ensuite à chaque pas des gouffres béants s’ouvrir autour d’elle; quand l’oiseau qui portait la becquée à ses petits, effaré, battant de l’aile, voit un enfant s’armer de sa baguette, et les lacs retenir ses ongles; quand, plongée dans le plus cruel des tourments, la bravoure elle-même se tord les mains de désespoir; quand de son cœur, accablé de mille plaies, surgit une couvée de serpents qui sifflent contre le monde; quand l’esprit du mal, en son délire, se fait un jeu d’arracher la vie, mais seulement après l’honneur, à un être impuissant, et non content d’abreuver le présent d’ignominie, traîne encore à la torture l’avenir échevelé, et s’acharne... sur qui? sur une âme angélique, maudite pour avoir accueilli avec du miel une bête féroce; quand tout ce qui était bien s’est changé en amertume et douleur: c’est plus que la souffrance de ce monde, c’est le supplice de l’enfer! Sont-ce là les tourments, ou d’autres plus affreux, qui ont versé leurs flots bouillants sur l’âme de ce jeune homme? Derrière lui, rangés, comme une rivière brillante, s’avancent les soldats, qui font peu d’attention à la tristesse de leur chef. Chacun d’eux songe, et bien qu’ils diffèrent dans leur manière de songer, il y a entr’eux cette ressemblance que chacun songe à lui-même. Tous cependant sont prêts à se jeter, le sabre haut, dans les ombres de la mort, au premier commandement. Ils vont, silencieux, en bon ordre, les chevaux suivant les chevaux, entre-croisant leurs traces, faisant briller leurs fers. Ils vont où la volonté du jeune Venceslas, par des sentiers solitaires, fait serpenter leur longue ligne. Au-delà des champs immenses, ils sont parvenus à l’endroit où la plaine semble finir, et se courbe en plaine nouvelle. Ils avancent, à l’horizon, vis-à-vis d’un nuage éclatant, et l’œil croit apercevoir des guerriers aériens.

VIII

Mais que voient-ils du haut de l’éminence? De la vallée voisine, les tourbillons de fumée et d’étincelles montent, et déroulent en gigantesques spirales, qui déployées à leur sommet, se répandent en nuages lourds, ténébreux, sanglants. Mais qu’entendent-ils du haut de l’éminence? Dans la plaine voisine, les pleurs, les gémissements, les cris de désespoir sortent du village aux toits de chaume, et leurs échos sinistres, qui serrent le cœur, soulèvent avec un soupir jusqu’aux poitrines vêtues d’acier.

«Garde à vous! Aux armes, fidèles! déployez le drapeau! Les Tatars pillent le village... Vaincre ou mourir!»

Et prompts comme l’eau qui jaillit, les guerriers, pleins de furie, tombent, étincelants, et avec un bruit sourd, de l’éminence dans la vallée. Oui, la flamme allumée par les mains des pillards a embrasé tout le village, dont les habitants épouvantés, sans défense, sont noyés dans le sang et les larmes. Mais ce n’est pas le moment de sécher leurs pleurs, ni de sauver leur avoir, ni de batailler corps à corps pour disputer à l’ennemi son butin. Déjà par ses vedettes averti, le Han a rassemblé ses hordes d’élite pour la danse de prédilection. Là, derrière le village, immobiles, ils couvrent toute la plaine. A leur droite, une

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