Maria. Poème d'Ukraine - Antoni Malczewski (coczytać .txt) 📖
- Autor: Antoni Malczewski
- Epoka: Romantyzm
- Rodzaj: Liryka
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Il essuya son front fatigué, enfonça plus avant son bonnet, et après un geste de menace, inclina sa tête pleine de noires pensées.
XIIIDevant la porte le cheval piaffe, et dans le village les chiens aboient. D’où vient donc ce cosaque, qui soulève tant de poussière? Il saute à terre et jette la bride sur une haie; puis il entre dans la grande cour en redressant sa moustache. Son visage hâlé garde les traces de rudes moments. Une simple inclination, un salut en brèves paroles, le distinguent de la foule des serviteurs. Il est asservi, mais il a pris la liberté dans le sang de son père22. Avec un regard fier, il demande à voir le seigneur, et au milieu de la valetaille qui le conduit, il a l’air d’un maître. Ses mouvements sont souples, sa démarche est leste, car il a baigné ses membres dans le vent du steppe. Et son bonnet de peau de mouton, à chaque mouvement, brille, comme un drapeau, avec sa flamme rouge, au dessus des herbes et des broussailles, sous les tilleuls qui bordent le fossé, et dont l’ombre fait peur au paysan servile. Enfin, suivi des domestiques, il se présente devant le Porte-glaive, et le cheval hennit, et soupire après le cosaque comme après sa mère.
«As-tu une lettre? — Oui, seigneur, — et je vous l’aurais remise hier, avant le chant du coq, étant parti le soir, mais c’est que le diable avait déchaîné les tourbillons sur les steppes... Seigneur, Madame, Dieu vous garde du mal.»
— «La lettre est en retard! Tant pis: à qui est donc ce cosaque, qui a peur des diables ou des hommes?»
— «Vous ne connaissez donc pas la réputation des bonnets rouges, race fidèle à ses maîtres? A qui je suis?... au comte Venceslas23.»
Le Porte-glaive lit, et dans l’œil réveillé de Maria, il y a plus qu’une vaine curiosité, il y a la vie à son paroxysme. Son sein gonflé parait flotter sur une vague rapide, qui la portera au bonheur ou fera d’elle la proie de la tempête. Le feu échappant aux barrières de son cœur, couvre son visage d’un éclat qui l’embellit, mais qui attriste comme les couleurs de la phtisie.
«Que l’on prenne soin du cosaque et du cheval!... Je vais écrire une réponse, attends-la.»
Cette voix retentissante, le cosaque l’a à peine entendue. Il contemplait, attendri, les beaux yeux noirs. — Il s’incline humblement devant leurs seigneuries, et advienne que pourra! Il sort, avec les domestiques, leur contant des choses gaies.
XIV«Devinez donc les hommes! Si ce n’est une trahison, ceci promet à ma pauvre enfant le bonheur. Il m’écrit, le palatin, avec un langage mielleux, qu’il est temps d’oublier nos offenses, qu’il regrette ses fautes; et non content de proclamer son affection pour ma fille, il l’appelle encore à son château. Bien plus, d’une telle union, dit-il, son fils n’est point digne, car c’est par la bravoure que l’on doit gagner le bonheur. Il veut donc que d’abord, dans une bataille, un exploit héroïque le rende digne de toi. Et comme précisément les Tatars courent le pays, il a ordonné à son fils de se faire le défenseur de tes charmes, afin que, la palme au bonnet, il se glorifie devant les hommes, de pouvoir défendre celle qu’il sait aimer. Il doit arriver ici aujourd’hui, avec ses troupes.»
— «Aujourd’hui? Je le verrai donc! Dieu! quelle joie! Et que mon cœur palpite! Mais pourquoi ces combats? Ne voit-on pas tout d’abord sur son visage qu’il est vaillant et noble?...»
— «Ils sont rares, tout de même, les hommes comme le palatin! il s’avoue lui-même coupable!... mais je crains pour toi!»
— «Père! je suis si pâle! Il aura peur de moi! Peut-être qu’il se chagrinera, peut-être qu’il s’offensera. Je devrais me parer un peu, qu’en pensez-vous? Je voudrais être pour lui la plus belle de toute la terre!»
— «Attends, attends, devant le filet tu ne prendras pas le brochet: peut-être viendra-t-il ici pour nous faire une belle peur; moi aussi pourtant, je désire chasser les Tatars. Pourquoi suis-je encore ici? C’est que je regarde derrière moi. Nous verrons bien ces guerriers!... malgré tout, j’ai dans la tête que le palatin traîne quelque fourberie.»
Mais déjà dans les airs le son de la trompette retentit. On entend au loin le cliquetis des armes, et la terre gémit. Déjà, devançant les escadrons qui marchent au pas, des cavaliers plus rapides se sont arrêtés devant la porte. «Venceslas!» crie Maria, et plus vite que la flèche, la figure au voile de deuil a volé vers lui.
XVOh! que le bonheur embellit! de quelle vive lumière il éclaire les jeunes et nobles fronts et les charmants visages! Comme dans ce regard serein resplendit le cœur aimant du jeune guerrier! Sur le ciel cristallin du bonheur qui l’inonde voltigent les doux songes d’une âme bercée par l’espérance. Vaillant, généreux, aimé, et après un orage dévastateur, illuminé du reflet rosé de l’arc-en-ciel qui lui dit l’avenir, avec quel ravissement d’amour dans chaque battement du cœur, il saisit de ses mains brûlantes Maria, le seul charme de sa vie! Avec quel orgueil, quelle tendresse, il entoure d’un bras protecteur ce doux sein tremblant, dans une discrète et silencieuse caresse!
Va-t-en, palefrenier brodé d’or, emmène ce coursier, de peur d’effaroucher l’oiseau craintif de l’amour. Et toi, seigneur Porte-glaive, crois-moi, goûte le repos. Une larme roule dans ton œil et tombe sur ta moustache: peut-être déjà la guerre éveille-t-elle en toi le dégoût? Et Maria! Elle aussi, elle est heureuse, de ce bonheur des femmes aimées, pour qui les doux moments de la vie sont comme un ciel serein, quand le tonnerre gronde à l’horizon.
XVI«Eh bien! seigneur gendre, dit sous les tilleuls le Porte-glaive, l’œil humide et brillant de la joie du cœur, je vois que dans ce misérable monde le bonheur marche au gré du vent. A peine s’est-on salué que la séparation arrive! Cette fois, pas pour longtemps: nous besognerons vaillamment. Je vais réunir les miens, et l’on ne s’amusera pas. On dit avec raison que le métier de soldat est chose rude: oui, surtout quand l’amour s’exhale d’une poitrine cuirassée. Mais après de courtes fatigues, nous pourrons jouir tranquillement et sûrement de nos loisirs, dans les joyeux festins. Puisque ma maison a salué des hôtes si chers, nous choquerons les coupes, et nous ne jeûnerons pas. Que dès ce moment la diligence de Maria ne se ralentisse pas. Que les tables soient chargées de mets, et que l’on n’épargne pas les épices. Du poivre, des baies de laurier, du gingembre, des conserves de citron, du safran24... car ce beau guerrier a été élevé dans les friandises. Quant au vin, j’y songerai, moi... et lorsque dans l’étang ce soleil au terme de sa course bienfaisante se plongera resplendissant, si mes desseins ne sont pas déjoués, le Tatar boira la rosée, et je boirai à la santé de mon gendre! Pour le moment, je vous quitte: après les violents chagrins, on goûte mieux le bonheur qui accompagne la vertu. Je vais faire prendre les armes à mes gens, et me couvrir aussi de mon armure. Et dès que les trompettes sonneront, vite, à cheval.»
XVIIIl s’éloigne: sur le bras étincelant d’acier s’appuie la belle et pâle figure, doucement ombragée par le panache. Ses noires tresses résonnent contre la cuirasse de dure écaille, et sa taille flexible n’est point oppressée par les mains robustes qui l’enlacent. Un vêtement d’acier. ... ici-bas, l’amitié aussi est méchante! Ce cœur vivant, l’amour même, repose sur une armure! Avec quelle flamme sur ses traits, avec quel regard tendre et avide, il contemple ce beau visage, voilé d’un nuage de tristesse! Comme il compte ces charmes, encore incertain si le temps ne lui a rien dérobé de son trésor! Non, cet éclat enchanteur qui embellit les yeux de Maria est impérissable: il sort de l’âme, et la mort seule l’éteindra.
Mais le guerrier a vu le voile funèbre, et cette joie sombre, qui s’unit à la robe de deuil et obscurcit la beauté à force de pâleur, ces yeux levés vers lui, et ce doux sourire plein du charme de la douleur, et sur ce teint si pur les humides sillons des larmes; aussitôt son propre bonheur se couvre du même nuage, et plus faible, plus tremblant, plus pâle que la plume de son panache:
«Lorsque dans les déserts des steppes, et dans ceux plus sauvages encore de mon âme, je me suis égaré à plaisir jusqu’aux teintes livides du crépuscule, jamais aucune étoile n’a lui sur mon chemin, et mon cheval regagnait ma demeure en luttant contre la rafale et la grêle. Tu es sortie pour moi, Maria! et à l’aurore de mes pensées, ton auréole m’a tracé une route lumineuse vers le ciel. Oh! que je suis heureux, fier et reconnaissant envers toi, qui dans la foule de tes adorateurs, es venue, tendre et confiante, appuyer sur moi tes beaux bras! O fortuné! qui dans ton cœur, à travers tes humides prunelles, ai lu les mystères de la vie et des sentiments du ciel! Mais pourquoi cette brume de tristesse, dont j’ai respiré la lourde vapeur, et qui t’a enveloppée de son ombre? Pourquoi le buisson de la vie ne croit-il pas pour moi seul hérissé d’épines? laissant à toi le parfum de sa frêle fleur au court printemps! A moi aussi l’on m’avait tout enlevé, on m’avait pris plus qu’à toi: tu appartiens au ciel; moi j’ai erré dans le tombeau, et chassé, par une noire vision, quand j’ai perdu la lumière, j’aurais frappé d’impitoyables coups les objets les plus saints. Car il est inutile de plaisanter avec le palatin, et le sabre, une lois dégaine, ne doit plus rentrer au fourreau. Alors le château de mes pères se fût rempli d’un vaste incendie, et plus d’un de mes proches eût été baigné dans son sang. Elles seraient restées dans mon cœur, cette fumée, ces ombres! Mais j’aurais conquis Maria par le sang et le feu! Ne tremble pas, tout cela est passé le jour où je t’ai vue, avant même, dès l’instant où tu as dit que tu étais à moi; d’un seul mot tu as rendu mon cœur aussi bon que si jamais personne ne m’avait fait de mal. Alors j’ai pris mon sabre, dont je ferai briller la lame, non pour un vil intérêt, mais pour ta défense et celle de mon pays. Alors j’ai sauté sur mon cheval, qui plus d’une fois dans ces plaines m’a emporté si rapidement, et je suis parti tout heureux. Oh! avec quelle allégresse j’ai aperçu ces tilleuls! Avec quelle ardeur mon âme désirait leur fraîcheur. Tu ne sais point, toi qui essuies tes larmes en silence, ce que c’est que de maîtriser un cœur farouche, de soupirer après un cœur tendre et de pleurer des charmes dans le souvenir desquels l’esprit voudrait ensevelir son existence. Maria, souffres-tu? A voir ton visage, il semble que déjà tu songes à t’envoler vers les anges, et dans une nouvelle douleur, bien que je m’enivre de tes caresses, j’ai presque besoin de te demander si tu m’aimes encore.»
«Si Maria t’aime, ô cher Venceslas... plus qu’il n’est permis d’aimer, plus que ne peuvent mes forces; plus qu’un faible cœur, lorsqu’il est rassasié, ne sait supporter une joie si immense, si peu espérée. Sans ces Tatars, qui restent devant mes yeux, sans ces flèches, que j’entends siffler à mon oreille, je me sentirais aussi légère, aussi ravie, aussi insensible à ton désir, que si je m’envolais au ciel dans tes bras. Si Maria t’aime? Vois, je ne suis que l’ombre de moi même! Que serait pour Maria le monde entier, sans ton regard? Que serait pour Maria l’éternité sans ton souvenir? Plus d’une fois, dérobée aux impressions des sens, sur ce grand livre de vie, je me suis humiliée de toute mon âme devant la puissance du Créateur... et quand je voulais étouffer ton souvenir dans le ravissement de la prière, aussitôt j’entendais comme un écho de ta douleur! Ah! peut-être le Seigneur punira-t-il un amour si ardent: peut-être une flèche tatare percera-t-elle ton cœur! Vois-tu ce rayon de soleil, à travers la trame du feuillage, allonger entre nos deux têtes sa lumière tremblante? Ce rayon anime, embellit, et réjouit tous les êtres; pourquoi, lorsque nous sommes unis, nous sépare-t-il? En vain, en vain, ô mon chéri, ta lèvre est sur la mienne... vois, il se penche avec la feuille, il se glisse entre nous deux. Ah! dans l’emportement de la bataille, dans
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