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une chevelure fine comme le lin? Oh! plus beaux cent fois que les tableaux de la nature colorés en rose par le matin, plus doux et plus brillants que les rayons de la gloire, cette flamme, qui s’entretient au foyer de son cœur; ce sourire, dans lequel il y a un peu de ce ravissement avec lequel les élus écoutent les hymnes des chérubins9. Monté sur un cheval ailé, au bord des grands ravins il conduisait en ordre les rangs silencieux. Ils disparurent dans un gouffre couvert de buissons, et franchissant le ravin, montrèrent encore une fois leurs têtes brillantes au-dessus des halliers. Arrivé sur l’autre bord, le jeune guerrier donna un commandement avec un signe, et ils marchèrent, marchèrent tous à la suite d’un alerte cosaque, dont un cheval sans fers marquait les traces légères, que le zéphyr et la rosée recouvraient de sable comme par un jeu d’enfants. VIII

Et silencieuse, déserte est la plaine; ils ont disparu, les soldats; comme si le cœur avait besoin d’eux, ils ont laissé après eux le regret. L’œil s’égare à travers l’espace, et dans ce qu’il peut embrasser, il ne rencontre nul mouvement; nulle part il ne trouve à la reposer: sur la plaine étendue, le soleil darde ses rayons obliques; parfois une corneille croassante, et son ombre, passent; par instants, là-bas, dans les hautes herbes le grillon des champs fait cri-cri. Partout le silence... il y a seulement dans l’air je ne sais quelles rumeurs... Comment! sur toute cette terre, l’âme songeant au passé n’est-elle doucement attirée par aucun souvenir de nos aïeux, lorsqu’elle pourrait déposer le fardeau de ses mélancoliques rêveries? Non — que les ailés repliées, elle s’enfonce dans la terre; là, elle trouvera d’antiques armures que ronge la rouille, et des ossements, dont on ne sait de qui ils furent; là elle trouvera des germes entiers dans une cendre féconde, ou bien le ver s’agitant sur un cadavre encore frais. Mais sur la plaine, elle erre sans trouver d’appui, comme le désespoir, sans asile, sans but, sans limites.

IX

Sous les vieux tilleuls méditait le vieux Porte-glaive10, soutenant de sa tête flétrie le poids de ses afflictions; quoique vêtu d’un noir joupan11, si triste auprès de ses cheveux blancs, il avait porté d’éclatantes couleurs, autrefois, quand il servait sa patrie; sa patrie! dont le nom, au milieu des combats, dans les conseils, dans les élections orageuses12 et les festins bruyants, allumait en lui un feu pur; avec quelle joie son cœur s’élançait vers elle, comme au printemps l’oiseau vers le soleil! Mais le ciel brillant s’est assombri... quoi?... il est passé, le temps de ces émotions. Dans sa vie reste la douleur, la fleur est desséchée. Il songeait, et le déshonneur qui le menaçait avait voilé d’un crêpe impénétrable les douleurs passées, les chagrins présents. Oh! tant qu’il aura un souffle, le feu d’un orgueil acharné n’enveloppera pas si vite et si misérablement la terre où il naquit! Oh! tant que son noir joupan revêtira des membres vivants, dans sa main desséchée brillera au besoin le vieux sabre!... Mais où vais je?... Il songeait, le Porte-glaive, et promenait ça et là son regard fier, plein d’aversion, de colère, et peut-être de mépris.

X

Auprès de lui une jeune femme... quoi! si jeune, et déjà s’est obscurci le rayon brillant de sa beauté! Ni costume élégant, ni fleurs, ne la parent. Des yeux noirs baisses... une robe de deuil... l’affliction sur ses traits;... elle incline sa tête silencieuse, dont tout l’éclat est dans le sourire de la patience. Par instants, au milieu de ces ombres épaisses de la douleur, une pensée, un souvenir, colorent subitement ses joues, lueur faible et pâle: ainsi parfois la lune en plein éclat, anime d’une vie surnaturelle les traits d’une statue. Belle et noble figure, qui s’envolait vers les anges, environnée déjà du charme de leur pureté, quand l’haleine dévorante des passions de ce monde a terni cette fleur en bouton, et flétri ce jeune cœur comme eût fait l’automne. La voilà encore sur le chemin, où le vent la secoue: être destiné au ciel, chargé des lourdes chaînes de la terre, elle porte un cœur desséché, et brille pourtant comme l’aurore. Pareille à ces fruits de la mer Morte13 dont la couleur ravissante promet au voyageur épuisé de fatigue un nectar, et qui lui donnent des cendres. Dans chacun de ses mouvements une douce tristesse: ni larmes, ni amertume, dans son regard voilé. Non! des chagrins déjà passés on ne voit plus les ravages. C’est le tombeau tranquille d’une espérance perdue. C’est le flambeau du bonheur, qui brûlait dans sa prunelle: le flambeau s’est éteint, et la fumée a obscurci ce visage.

XI

Auprès de lui une jeune femme... sur le livre de vie, craintive colombe, aux portes même de la lumière s’est élevée dans sa foi, et d’une aile tremblante a cherché son nid loin de la terre. Au-dessus des splendeurs du monde et de son faux éclat, apparaît comme un blanc plumage, l’humble vertu qui s’abaisse14; la fibre qui rattache son cœur au ciel tressaille, quand une goutte de douce rosée tombe sur sa blessure. Elle lève les yeux au ciel, avec cette expression touchante qui met en un seul regard tous les sentiments à la fois, et, dans un rayon de lumière montre l’espérance de l’avenir et la douleur du passé, comme deux tendres sœurs, accourant pour se rejoindre. Elle lève les yeux vers le ciel, car elle a senti combien il est doux, pour une âme noble, égarée dans l’affliction après la perte de son bonheur, et que les aspirations et les terreurs mondaines laissent déjà froide, de soupirer après son origine! Combien il est doux, au lieu de se perdre dans le chaos d’ici-bas, de disparaître, de s’effacer à jamais sous l’étreinte de la mort. — Et celui qui eût vu alors ce visage rayonnant, et eût regardé dans l’âme pure du sombre Porte-glaive, celui qui eût vu ces tilleuls rameux, ces antiques vêtements, dont la coupe convient si bien à l’imagination, celui qui eût vu la lumière et les parfums entourer tout-à-coup leurs tempes de l’auréole des martyrs, oh! peut-être, reportant son souvenir vers des siècles reculés, Vers des lieux moins sombres, vers un pays fameux, et lointain, sur les bords du Jourdain, à l’ombre des palmiers, se fût assis rêveur, à côté de la famille d’Israël; et dans la communauté d’infortune, rempli d’une terreur sainte, il eût reconnu cette main éternelle, mystérieuse, qui précipite ou retarde le bienfait ou le châtiment, et ces éternels soucis de l’exilé, de l’homme, à qui, au sein de la félicité, quelque chose manque, heureux seulement lorsqu’il soupire après le ciel.

XII

«Mon père, trop longtemps déjà, dans la foule de mes chères pensées, je me suis égarée aujourd’hui, pendant que sur ton front je vois toujours les noirs chagrins se succéder. Si la joie vient y briller, elle passe aussitôt, comme un faible rayon, tombé des nuages sur le sommet des monts, et que voilent de nouveau les nuées chassées par le vent. Oh! pourquoi ta tête blanche ne connaît-elle pas encore le repos? Viens ici, sur mon sein... ne crains pas... aujourd’hui la douleur n’en sortira point, comme au jour où quelqu’un s’endormit fatigué dans mes bras, et vit en s’éveillant ta fille penchée le mouiller de ses larmes! Jeu cruel des malheurs! ainsi la mousse jaunie nourrit d’un suc corrompu la vieillesse du chêne qui la porte. Et ainsi mes sentiments, refoulés par une longue compression, brisèrent la digue de ma prudence, et coulèrent comme un torrent. Ah! qu’il est douloureux de voir derrière soi le désespoir arriver menaçant, et de ne pouvoir s’écarter! Ah! qu’il est affreux de se sentir forcé à empoisonner avec la main qui veut guérir! Mon père, mon père chéri, ta fille ne charmera donc plus un seul de tes moments? Triste a été sa destinée... mais le passé est déjà loin! Vois quelle douce lumière est venue m’envelopper, vois courir sur ma figure le plus joyeux des sourires, mon sourire, qui veut éveiller le tien, comme aux jours heureux, comme jadis. Parfois je me rappelle ces années de mon enfance, si heureuses, si vite passées! et mon doux père, comme il venait, certains jours, le front assombri, se reposer de ses fatigues! Et tout-à-coup la joie de la petite fille éclatait, et se glissait dans le cœur du père, et peu à peu, insensiblement, venait rasséréner son front et faire éclore un sourire. Qu’est devenue cette puissance de la petite fille? Autrefois elle chassait les nuages, et voici qu’elle les amasse. Où s’est écoulé le petit ruisseau à l’onde vive et pure? Avec un murmure impuissant, il a disparu dans le lac. Qu’est devenu notre joli petit oiseau? Il a voulu dorer ses petites ailes à la flamme, et voilà qu’il ne revient plus. Oh! tant que celui qui entra pour jamais dans mon cœur, avant d’être appelé mon époux devant l’autel, lorsque unir mon âme, avec son âme, être dans ses nobles pensées, m’envoler avec ses soupirs, me sentir la lumière de son œil et le besoin de sa vie, c’était plus que le bonheur, c’était pour moi le ciel; celui qui entr’ouvrant le tendre bouton de fleur de mes rêves aimés, y éveilla la vie, et buvant sa fraîche rosée, laissa sur la corolle une larme de reconnaissance que le temps n’effacera pas; oh! tant que celui qui m’est cher, ce monde de mon âme, ne brisera point, par son mépris, les liens qui nous unissent, restera fidèle à la vertu, à son amour, à ses souvenirs, et si le palais du bonheur s’écroulait, fidèle à des ruines, l’urne de la vie ne sera pas encore fermée pour moi; et encore sa pensée, malgré l’éloignement, revenue à moi, pénétrera secrètement mon cœur sans vie, et le préservera de la corruption. Et ce cruel sacrifice, la séparation, je le supporterai, supporterai patiemment, jusqu’au jour où nos âmes, arrachées à cette terre, et à jamais unies, ne verront plus les hommes, mais seulement le ciel, plus clément.» — Elle dit, et comme dans une eau stagnante et impure, une agitation subite fait apparaître les souillures du fond, ainsi l’affliction sortie de son cœur, longtemps la mouilla de larmes, et revêtit sa pâleur de tons verdâtres. — «J’aimerais mieux porter des chaînes au milieu des Turcs à la longue barbe, que de voir ma fille se flétrir ainsi misérablement; j’aimerais mieux, dans un obscur cachot, attendre une mort certaine, que de contempler tranquillement ce lugubre hymen. Est-ce que dans notre Pologne il n’y a pas assez de jeunes gens qui sachent faire rougir les joues des jeunes filles, et selon les mœurs d’autrefois, ne plier leur noble genou qu’une fois dans la vie, pour recevoir la couronne nuptiale, ou après le cadeau de noces?15 — Non, Maria! il ne faut pas soupirer: je neveux pas blesser ton époux, il est vaillant et vertueux, et tu sais que je l’estime. Mais l’orgueil de son père m’impatiente. Et puisqu’il nourrit son cœur des larmes de Maria... ah! mon sabre n’est pas seulement une vaine parure, et je ferai briller près de ses yeux l’image sacrée16. C’est l’antique privilège de notre noblesse, que de faire jaillir le feu des sabres quand le ciel de l’amitié s’obscurcit. L’amitié?... Mais nos troupes ne furent jamais du même côté à la diète: même durant les trêves, on nous entend crier: veto!17 Si l’envahissement du pays et mes conventions avec le Hetman18 ne m’avaient alors jeté à la tête des Suédois19; si ta mère (Dieu lui donne le ciel!), n’eût abrité sous son manteau l’amour de vos jeunes cœurs, et par un goût tout féminin pour le clinquant et les mystères, ne fût venue, avec son escorte de matrones, cimenter cette alliance: jamais je n’eusse laissé l’ennemi séjourner dans mes limites, et y promener librement le brigandage. Qu’ai-je trouvé ici? Ma femme fauchée par la mort, et ma fille, seul rejeton de ma race, baignée dans la rosée de ses larmes. Pour ma vieille Karabela20, c’est un grand miracle, que de supporter de si rudes coups et une condition si humiliante. Et encore, a-t-il une seule fois, le palatin, pressé mon enfant sur son cœur? Cette jeunesse, ces charmes, l’ont-ils une seule fois attendri? Non.

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